Quantcast
Channel: Radio Notre Dame » quotient familial
Viewing all articles
Browse latest Browse all 3

La réforme de la politique familiale, justice sociale ou faute politique?

0
0

Alexandre Meyer aborde ce matin avec ses deux invités un sujet aussi complexe que polémique: la récente réforme des allocations familiales et du quotient familial. Que penser de la politique du gouvernement dans ce domaine ?

Jean-Marie Andres, responsable à la confédération nationale des AFC de la politique familiale, et Julien Damon, professeur associé à Sciences-Po,  ancien Sous-Directeur à la Caisse nationale des Allocations familiales, apportent un éclairage nuancé sur des mesures qui toucheront 12% des ménages selon le gouvernement.

De quoi parle-t-on?

Afin de rétablir d'ici 2016 l'équilibre de la branche famille de la Sécurité Sociale, il a été décidé de diminuer le plafond du quotient familial dès 2014. Une solution "plus juste, plus simple et plus équitable" selon le Président François Hollande. Jusqu'en 1981, il n'y avait pas de plafond à ce système permettant une réduction d'impôt sur le revenu du fait d'avoir des enfants. Actuellement, le plafond est fixé à 2000€ de réduction d'impôts avec le 1er enfant. Le gouvernement envisage d'abaisser ce plafond à 1500€. Cette réforme du quotient familial - qui devrait être plus justement appelé quotient fiscal selon l'un de nos auditeurs- entraînera donc  une hausse moyenne du montant annuel de l'impôt de 500€ , jusqu'à 3000€ pour les familles nombreuses ayant des revenus élevés. La mesure touche surtout les foyers les plus riches qui paieront davantage d'impôts que les foyers les plus modestes (très peu impactés). Peut-on dès lors parler d'une mesure de justice ?

Justice sociale et politique familiale

Pour Julien Damon, le fait de présenter ces réformes comme une mesure de justice est aussi bien caractéristique d'un gouvernement de gauche que de droite. La réforme du quotient familial, fondée sur le revenu, est une forme de "justice sociale verticale", par opposition à la "justice horizontale" où la redistribution est faite des ménages sans enfant vers les ménages avec enfants. Ces deux principes coexistent et sont contradictoires. "On peut gérer l'équilibre", admet Jean-Marie Andres, mais lorsque la justice horizontale qui prévalait jusqu'à maintenant est "présentée comme une niche fiscale", il s'agit d'une "faute politique contre l'organisation de la société". Alors, pourquoi avoir entrepris cette réforme ?

Vision et objectifs du gouvernement

Rappelons que les dépenses de la Sécurité sociale, largement déficitaire, sont réparties en trois postes : l'assurance maladie, les retraites, et la famille. Il est très délicat politiquement de toucher aux retraites qui concernent des dizaines de millions de personnes (comprenez d'électeurs), alors que branche famille, "non déficitaire" rappelle M. Andres, ne concerne "que" 4 millions de personnes, et plus précisément 1,3 million dans le cas de la réforme du quotient familial. La famille a toujours été la "branche d'ajustement de la Sécurité sociale" selon Jean-Marie Andres, ce qui permet d'éviter de gérer directement l'ensemble du problème des retraites.

Globalement, nos deux invités s'accordent sur l'absence de vision "politique et stratégique"  des différents gouvernements à propos de la politique familiale depuis plusieurs années. Julien Damon préfère parler de "rafistolage" et non de refondation, tandis que Jean-Marie Andres décrit un "vieux bateau de la protection sociale" dont on tente de colmater les nombreuses fuites au lieu d'en "assainir la cale sèche ". En clair, dans le pays de l'OCDE qui affecte la plus grande part de sa dépense publique à la politique familiale et  mène une politique de hausse constante des prélèvements , on cherche, "de façon gribouille", pour reprendre l'expression de M. Damon, à trouver 2 milliards d'euros pour réduire les déficits. Jean-Marie Andres, plus nuancé, affirme que l'on assiste à un "virage objectif très marqué" menant vers plus de politique sociale (le nombre de bénéficiaires de l'allocation logement, par exemple, augmente constamment, près de 6 millions de personnes aujourd'hui). Faut-il donc craindre un remplacement de la politique familiale par la politique sociale ?

Pas vraiment selon Julien Damon. La création d'autres prestations sociales sans conditions de ressources constitue plutôt un "ajout". Même si le gouvernement décide de passer par la diminution des avantages fiscaux plutôt que par celle des allocations, "on est loin d'un désengagement massif". La preuve, les dépenses familiales que sont les prestations ou les constructions de centre aérés et de crèches augmentent chaque année, phénomène représentant d'après l'auteur de "Les politiques familiales" (PUF, 2006), un "virage vers l'accueil de la petite enfance".

Plus concrètement, quelles seront les conséquences de ces réformes sur la société française?

Parlons des résultats

Selon Jean-Marie Andres, l'impact sera important non pas "sur la vie quotidienne au sens strict" mais à long terme, "sur la capacité à construire l'avenir". "On sape la visibilité des familles" d'après lui. Le message du gouvernement est clair, et ressemble à un avertissement:  "Rien n'est sacré". En d'autres termes, le système allocataire français, soumis depuis une trentaine d'années à des "coups de canif", est fragile,  et il est inutile de s'y fier pour construire son avenir. Une dangereuse stratégie car "la stabilité de la politique familiale est une clé de son efficacité". Autre motif de défiance, l'hypocrisie d'un président qui avait promis de ne pas augmenter les impôts. Mais la situation économique de la France oblige le gouvernement à rétablir les équilibres. Comment? En faisant payer les riches, "pas toujours très riches car la vie est devenue très onéreuse", étant donné l'augmentation des coûts de l'énergie, des frais de logement et de scolarité, qui font peser une importante "pression budgétaire" sur tous les ménages. " Les plus aisés sont les plus lésés", résume astucieusement Julien Damon.

On pourrait également être préoccupé par l'évolution du modèle démographique français, qui se caractérise par un des taux de fécondité les plus élevés d'Europe. Julien Damon nous rassure sur ce point, puisque selon lui, et c'est également l'avis de Jean-Marie Andres, le lien entre la politique allocataire et la fécondité est "ténu", cela s'est vérifié dans le passé. Le véritable problème, selon Julien Damon, est que l'on s'achemine vers une baisse des disparités concernant le nombre d'enfants par foyer: le système allocataire a en effet une forte influence sur la classe peu déjà peu nombreuse des familles qui ont beaucoup d'enfants. Jean-Marie Andres confirme que les familles s'agrandissent moins en fonction d'une politique familiale qui "a perdu sa crédibilité" que des dépenses de logement, de la fiabilité du système éducatif, et de l'état du marché du travail.

Réformer autrement

Pour Jean-Marie Andres, la France, "qui renouvelle mal ses générations", a d'abord à gérer le dossier de "la pyramide des âges", et plus précisément celui des retraites. Dans ce contexte, il est inadéquat de financer les équilibres "par la pénalisation croissante au nombre d'enfants". Au lieu de multiplier les priorités, il vaudrait mieux "avoir le courage de dessiner un futur précis" en travaillant sur "le logement, l'éducation, le chômage" afin de réaliser la finalité de toute famille: "subvenir à ses propres besoins par ses propres ressources" . Quitte à diminuer le montant des allocations. Cela allègerait les charges donc améliorerait la compétitivité française (à l'inverse de la hausse de la fiscalité), "le vrai enjeu" selon notre invité. Pour Julien Damon aussi, il faut arrêter la hausse des prélèvements,  accepter de réduire nos nombreux avantages actuels que sont les prestations, les allocations et  les pensions, et ne pas avoir peur de s'attaquer aux niches fiscales instaurées par des hommes politiques trop timorés. En reprenant les termes de M. Andres, il s'agit désormais de décider tous ensemble d'un avenir qui, en dépit de nos prédictions pessimistes, ne sera "pas forcément plus mauvais".

Réécouter Réécouter La Voix est libre

 


Viewing all articles
Browse latest Browse all 3

Latest Images

Trending Articles





Latest Images